Oiseaux et Lumières du Lac du Der

Cliquez sur l'image ci-dessous pour visualiser des vidéos d'oiseaux réalisées au Lac du Der en Champagne ce mois de septembre 2017.

Lac du der

Photos du mois de septembre 2017 par Antoine Cubaixo 

"Un dimanche au Lac du Der"

(Texte d'un ami ornithologue souhaitant conservé l'anonymat, avec son aimable autorisation, merci l'ami des oiseaux...)

Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), cette espèce passe l’hiver en Afrique sahélienne, ici en halte migratoire dans notre belle région.
Rougequeue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), cette espèce passe l’hiver en Afrique sahélienne, ici en halte migratoire dans notre belle région.

          Matinée d’automne sur le lac du Der

 

Haute dans le ciel teinté des premières lueurs de l’aube, vénus, éclatante, côtoie le mince croissant de lune dans un coin de ciel sans nuages.

 

Pas un bruit, pas un souffle de vent, du lac et de tous ses habitants assoupis, s’exhale,  une délicieuse torpeur. Le raccourcissement sensible du jour, ainsi que la fraicheur matinale ont déposé les premiers timides reflets jaunes, marron, roussâtres, sur la haie de charme en bordure de la départementale ainsi que sur les hautes branches de la lisière de la forêt de l’Argentolle.

 

Alors que les ténèbres battent en retraite au dessus de l’île de Chantecoq, quelques grandes aigrettes, d’un vol lent, nonchalant, se laissent glisser depuis leur dortoir jusque dans l’anse de la Carpière, où, immobiles, elles débutent un guet patient. Cette longue veille n’est qu’exceptionnellement interrompue par une brève poursuite sautillante, un affrontement belliqueux au cours duquel sont assénés quelques coups d’ailes et de bec et qui se soldent toujours par la fuite rapide d’un des deux belligérants.

 

Les trilles flûtés des courlis ainsi que les cacardements rauques des oies cendrées saluent l’apparition du soleil. Lever hésitant ; en effet, peu après son émergence au dessus de la forêt du Der, l’astre du jour disparaît derrière une longue enfilade nuageuse. Quelques minutes plus tard, alors qu’il surplombe maintenant  les nuages et distribue généreusement sa lumière crue, éclatante, aveuglante, les sarcelles, à leur tour, se dispersent le long de la rive et dans les gouilles ménagées par le retrait de l’eau où elles barbotent, filtrent scrupuleusement la vase, le cou tendu, le bec horizontal, promené au ras du sol, de gauche à droite, et animé de tapageuses trépidations.

 

Devant moi, les bergeronnettes grisesvont et viennent, de leur vol onduleux, se posent, et disparaissent aussitôt dans le pierrier de la digue. Seuls, leurs piaillements plaintifs trahissent leur présence.

 

Le soleil, maintenant, haut dans le ciel, se mire sur l’étale du lac en une large zone brasillante, aveuglante, de laquelle le regard se détourne instinctivement. Lui tournant le dos, je découvre, tout proche, un chevalier gambette qui, à grands pas rapides, explore la rive. Il exhibe un manteau gris marron finement moucheté, un ventre clair, des pattes rouge orange, un bec fort à base rougeâtre. Sans interrompre ses détours, il prospecte la vase devant lui, ou, pivotant le corps latéralement, il étend de part et d’autre ses investigations. Tantôt, il picore la surface du substrat, maintenant, il se penche en avant, immerge la tête, enfonce profondément le bec dans l’argile molle, le secoue brièvement avant de se redresser et de poursuivre sa quête.

 

C’est le moment que choisissent une cinquantaine de grues pour rallier le lac. Leurs clairons résonnent plusieurs minutes avant que le vol n’apparaisse, au ras des cimes de la forêt de l’Argentolle. Très loquaces en vol, elles se taisent rapidement après leur arrivée. Elles croisent un grand échassier blanc, aux battements d’ailes précipités, au long bec sombre : une échasse quitte discrètement la cuvette du Der.

 

S’avançant depuis le sud-ouest, un amoncellement compact de rebondissants cumulus gris, ourlés d’un beau jaune lumineux, occulte le disque solaire. Cette lumière tamisée atténue l’effet de contre-jour et autorise une exploration des groupes d’oiseaux posés à distance. Il m’est permis ainsi de dénombrer une dizaine de barges, dispersées parmi les courlis et la multitude d’anatidés qui stationnent sur une vasière, au large. Les grands limicoles, le corps penché en avant, enfoncent leur long bec retroussé, verticalement, dans le sol détrempé, lui impriment quelques rapides mouvements de rotation autour de son grand axe, puis l’en extraient promptement, poursuivant leur progression louvoyante, hasardeuse, sur cette étendue dénudée si giboyeuse.

 

Profitant d’une trouée de ciel bleu, le soleil prodigue, derechef, ses rayons vivifiants. Des canards pilets au profil effilé, en livrée grise écailleuse, basculent en eau peu profonde en compagnie de chipeaux en apparat nuptial gris cendré et de quelques siffleurs, à la silhouette rondelette, à la robe rousse, qui dévoilent à chaque manœuvre la blancheur de leurs sous-caudales.

 

Répondant simultanément, au retour du rayonnement revigorant, ou à l’appel du ventre, ou à tout autre, inconnu de nous tous, les milliers de cormorans agglutinés sur la Pointe Nord Chêne déferlent en une houle fuligineuse, agitée d’innombrables battements d’ailes, qui pendant plusieurs minutes masque la surface de l’eau. Tous prennent la direction du Grand Etang, où ils s’abattent lourdement et plongent en rangs serrés. Seule leur tête, surmontée de ce bec épais, long, droit, à l’extrémité crochue, émerge de la surface de l’eau agitée des remous soulevéspar les plongées de la cohue d’oiseaux réunis par cette pêche frénétique. Le groupe de plongeurs progresse vite, les retardataires qui se considèrent lésés, prennent leur essor, survolent la foule des pêcheurs et se précipitent devant elle. Ils se retrouvent ainsi aux premières loges, là où foisonne abondante provende. Ainsi, tel un tapis nageant, plongeant, puis volant, progresse le redoutable rets vivant.

 

Attirées par l’espoir de glaner quelques rogatons, un tourbillon blanc de mouettes survole la noire chenille, pendant que les grandes aigrettes, rassemblées sur la rive voisine, espèrent y surprendre un poisson qui tente d’échapper au rabattage des cormorans.

 

Ce court intermède n’a pas perturbé la quiétude des lieux. Pas davantage que l’arrivée en rase mottes d’un busard des roseaux qui provoque la fuite de quelques groupes de sarcelles, qui vont rapidement rejoindre leurs semblables assoupies en bordure de l’anse voisine.

 

 

Tous, anatidés, limicoles, grands échassiers, paraissent sommeiller, regroupés en longues enfilades qui épousent le contour des rives. Repos néanmoins vigilant, car tous sont susceptibles de fuir à la moindre alerte. Cette réactivité constitue la condition indispensable à leur survie. Cette vigilance imposée à cette ribambelle de cerveaux reptiliens affleure à ma conscience par une improbable prouesse télépathique. Ce soudain mouvement d’empathie me contraint à moduler ma perception de l’apparente sérénité du lieu. Sans la bannir, je suis maintenant, mieux conscient de son caractère précaire et donc mieux apte à apprécier ses inestimables vertus.